Pour sortir des pesticides de synthèse, imaginer de nouvelles formes de solidarité avec celles et ceux qui nous nourrissent
Les débats autour de la loi Duplomb mettent en évidence l'absence de stratégie claire de l'Etat et de l'Union européenne pour aligner les pratiques agricoles sur les enjeux de santé publique, de lutte contre le réchauffement climatique ou d'extinction de la biodiversité. Si des mesures d'accompagnement aux changements de pratiques agricoles existent, elles sont aujourd'hui insuffisantes car elles ne sécurisent pas suffisamment les agriculteurs qui devront les mettre en place. Nous devons réfléchir à la mise en place de système assurantiel, afin de mieux accompagner la révolution agroécologique sur nos territoires.
Une herse étrille en action…
"Pas d'interdiction sans solutions" réclament certains syndicats agricoles pour faire écho aux différentes politiques qui depuis des années font le siège des rares ambitions nationales en matière de réduction de l'usage des pesticides de synthèse. Derrière ce discours se cache une toute autre réalité, celle d'acteurs agricoles en grande partie empêchés de prendre le virage de l'agroécologie, non par manque d'alternatives, elles existent[1], ni par manque de volonté[2], une majorité d'agriculteurs s'expriment en faveur de la transition écologique, mais parcequ'il persiste des freins politiques et structurelles à la généralisation de l'agroécologie.
"Les solutions existent, mais elles sont aujourd'hui empêchées par un système verrouillé"
Les débats en cours sur la révision du Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux[3] (SAGE) du bassin versant de la Vilaine, qui se cristallise autour d'une règle[4] d'interdiction des herbicides de synthèse sur les parcelles de maïs illustrent au même titre que les débats entourant la loi Duplomb les difficultés pour les acteurs agricoles comme les institutions d'appréhender la sortie des pesticides de synthèse comme une politique nécessitant une remise en cause profonde du système agricole hérité de l'après-guerre.
"Un nouveau contrat social de l'alimentation"
Notre système agricole présente un certain nombre de verrous qui vient limiter les capacités de mise en œuvre de la transformation écologique des pratiques agricoles : revenus faibles, contrat de filières asymétrique et contraignant, offre de débouché et soutien à l'agriculture biologique trop faibles… Face à ces verrous et le constat d'une inadéquation entre notre système alimentaire et la fragilité et la finitude des ressources naturelles que nous exploitons, seule des politiques de ruptures, basées sur la redéfinition des chaînes de valeurs, la désindustrialisation du système agricole et alimentaire, la construction de nouveaux rapports culturels autour d'une alimentation plus saine et durable permettront d'y répondre. C'est à travers un nouveau contrat social[5], tel que le définie Nicolas Bricas, chercheur et socio-économiste de l’alimentation au CIRAD et la mise en œuvre d'une Sécurité Sociale de l'Alimentation que nous porterons des réponses à la fois aux revendications portées par les agriculteurs, en janvier 2024, sur le sujet de la juste rémunération et celles portées par la société civile autour du droit à une alimentation saine et durable.
Avant cela, les politiques de soutien en faveur de l'adoption de pratiques plus durables doivent être renforcées car elles sont aujourd'hui insuffisantes. Preuve de ce manque de moyens, l'incapacité de l'Etat à dégager des budgets suffisants pour financer des Mesures Agroenvironnementales Climatiques, pourtant plébiscités, notamment en Bretagne[6].
"Mettre en place une couverture financière des risques spécifique pour favoriser la transformation écologique des pratiques agricoles et garantir un revenu "
Ces mesures, comme les éco-régimes proposés par la Politique Agricole Commune (PAC) sont aussi insuffisantes pour embarquer l'ensemble des agriculteurs qui se retrouvent souvent seuls, face aux injonctions du changement et des démarches qui ne garantissent pas la prise en charge de pertes exceptionnelles liées à l'abandon de la chimie. Or, l'évolution des systèmes de production "conventionnels" vers des pratiques sans pesticides, si elle repose sur la nécessité d'une reconception des pratiques, elle reste une prise de risque pour celles et ceux qui doivent conduire ces transitions à l'échelle de leur ferme. Il est donc indispensable de mettre en place une couverture financière des risques spécifique afin de mieux réussir la transformation écologique de l'agriculture.
L’assurance aux changements de pratiques n’est pas un outil déployé à ce jour à l'échelle nationale mais il est mentionné par de nombreux acteurs comme une des solutions face à l’incertitude des changements de système[7]. Au-delà de la seule contribution des collectivités publics, déjà fortement impactés par les couts de dépollution de l'eau ou les impacts sanitaires des pesticides de synthèse, ce fonds d'indemnisation doit pouvoir mobiliser au sein de plans de filières, les acteurs de l'amont et de l'aval, peu encouragés jusqu'à présent à s'engager.
Les politiques de gestion des risques en agriculture doivent servir à piloter la transformation écologique des pratiques agricoles. Adossons-nous pour cela sur la mobilisation et l'expertise des mutuelles réunies au sein de l'association des Mutuelles pour la Santé Planétaire et l'histoire du mutualisme agricole qui a émergé dans notre pays. C'est aussi par la solidarité que nous pourrons aujourd'hui relever le défi d'une agriculture rémunératrice et qui réponde aux enjeux de santé et de protection de l’environnement.
[1] Mora O. (coord.), Berne J.A., Drouet J.L. et al. (2023). Agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050. Résumé de la prospective – INRAE (France). 14 pages.
[2] Un consultation des Agriculteurs réalisé par le Shift Project révèle que la grande majorité des agriculteurs sont prêts à accélérer la transition environnementale de leur secteur : plus de 80 % des répondants souhaitent adopter des pratiques agronomiques plus durables, et seulement 7 % déclarent ne pas souhaiter s’engager ou accélérer la transition de leur exploitation https://theshiftproject.org/publications/grande-consultation-agriculteurs/
[3] Le SAGE est un document de planification visant à atteindre des objectifs de bon état pour la ressource en eau dans sa globalité à l’échelle d’un territoire cohérent d’un point de vue hydraulique, le bassin versant. Il fixe des objectifs, orientations et règles opposables aux pouvoirs publics et aux tiers.
[4] La proposition du SAGE Vilaine est d'interdire à partir de 2029 l'usage des herbicides maïs sur les aires d'alimentation de captage dans les parcelles à risque fort d'érosion et de ruissellement est une première en France. Ce sont ainsi plus de 200 km2 de culture de maïs qui pourraient ne plus être traitées avec des herbicides.
[5] Nicolas Bricas, « Comment changer de modèle agricole ? », in Nabil Wakim (dir.), Chaleur humaine. 18 réponses à la menace climatique, Paris, Seuil, 2023, p. 169-183.
[6] https://www.ouest-france.fr/bretagne/cotes-d-armor/des-agriculteurs-bretons-se-voient-refuser-leurs-demandes-de-mesures-agro-environnementales-202da856-63b8-11f0-a6af-fdbae6127de0
[7] Dans le nouveau plan Ecophyto 2030, le sujet des risques économiques associés à la transition est traité dans le point 2.6. de l’Axe 2 sur le déploiement : « Responsabiliser l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis la production jusqu’à la consommation ».